Laos:
Projet
hydro-électrique Nam Theun-2 (NT-2)
Des négociations lao-thai
toujours bloquées
Par: David Thanadabouth
(Journaliste à Radio France Internationale, section lao)
Les négociations, engagées depuis début 1999 entre le Laos et la Thailande pour
lachat de lélectricité laotienne par les Thailandais, restent toujours
bloquées . Vientiane a été mis en position de "demandeur" au lieu d
"offreur" par Bangkok qui temporise en raison de leffondrement de la
consommation dénergie en Thailande dû à la crise économique et financière de
juillet 1997, poussant la compagnie publique délectricité thailandaise
"Egat"(1) à réviser ses engagements dachat .
Ceux-ci sont définis par un "MOU "(2) signé par les deux
parties en 1996, selon lequel la Thailande achèterait 3300 MW délectricité
produits par plusieurs projets au Laos dont le plus ambitieux est celui du barrage
hydro-électrique NT-2 .
Pression thailandaise sur le tarif
Comme le Laos na pas pu fournir lélectricité à la
Thailande dans le délai fixé par le MOU de 1996, cest-à-dire à lan 2000,
les Thailandais ont donc eu droit à des renégociations au cours desquelles ils se sont
montrés inflexibles en rejetant les propositions faites par les Laotiens qui voulaient
que la Thailande commence à acheter 600 MW délectricité au Laos en 2004, 1000 MW
en 2005 et de 1700 MW en 2006, soit au total 3300 MW .
En faisant valoir une situation financière difficile et la surproduction électrique
dûes à la chute de moitié des activités industrielles, les Thailandais ont fait des
contre-propositions
Selon eux, Egat commencerait à acheter de 1600 MW
délectricité au Laos fin 2006 et 1700 MW à partir de 2008 au lieu des 3300 MW en
2006 tel que lauraient voulu les Laotiens .
En dehors de la nouvelle date de fourniture sur laquelle les deux parties nont pas
pu se mettre daccord, les Thailandais voulaient également payer la moitié de la
facture en Baht, leur monnaie nationale, et lautre moitié en dollar. Evidemment, ce
marchandage a été immédiatement rejeté par les Laotiens qui voulaient que le prix de
leur électricité ne soit payé uniquement quen devises américaines .
En ce qui concerne le tarif, les Thailandais ne se sont pas montrés plus généreux
non plus...Ils ont proposé 4,178 cents/kwh, pas un cent de plus, ce qui nest pas du
tout de nature à faire plaisir aux Laotiens car le tarif fixé avant léclatement
de la crise économique et financière asiatique en juillet 1997 était de 5,7 cents/kwh .
" Cest notre dernier prix. Nous ne croyons pas à la reprise de la consommation
dénergie à des niveaux davant-crise ", a déclaré M. Nivat
Kulkarnjanatorn, directeur de la division internationale dEgat, alors que M.
Jean-Christophe Delvallet, directeur du consortium multinational "NTEC"(3) qui
gère le projet NT-2 nest pas du tout de cet avis . "Avec la croissance
économique en Thailande de lordre de 3% pour lannée 1999, Egat ne peut pas
dire que la consommation électrique ne reprend pas ", conteste le Français qui
représente également lEDF au sein du NTEC .
Les négociations entre les deux parties se sont déroulées à plusieurs reprises et
sont toujours en cours mais les désaccords demeurent .
Par ailleurs, selon M. Witoon Permpongsacharoen, secrétaire général du TERRA(4), une
des organisations écologiques hostiles au projet NT-2 basée à Bangkok, la Thailande a
un besoin énergétique réel de 13.508 MW
Elle a produit à ce jour 19.082,4 MW, c'est-à-dire 5.574,4 MW de plus par rapport au
besoin réel, soit un surplus de 29,2% qui constituent en fait la production de réserve
nécessaire pour le pays . Or celle-ci ne devrait pas dépasser 25% de la production
totale.
Dautre part, avec une hausse de la production de 3.685 MW prévue par Egat avant la
fin de cette année, lénergie électrique de réserve thailandaise sera de 40% si
la consommation reste au même niveau que celui daujourdhui voire si elle
augmente légèrement , ce qui est excessif, selon M. Permpongsacharoen . " Dans ce
cas, à quoi servira lachat délectricité du Laos par la Thailande de 1600 MW
fin 2006?" a-t-il conclu .
Evidemment, le gouvernement lao ne manque pas darguments . " Cest
une désinformation totale. Les affirmations de M. Permpongsacharoen sont basées sur la
situation actuelle, alors que nous commencerons à fournir lélectricité à la
Thailande à partir de 2004 ", a rétorqué M. Xaypaseuth Phomsoupha, secrétaire
général du Comité National Lao pour lEnergie . "A cette date là, le besoin
énergétique de la Thailande sera bien sûr augmenté en fonction de la reprise
économique ", a-t-il ajouté .
La Thailande, seul client potentiel
En vue de diversifier le marché, le Laos avait un temps envisagé de vendre une partie de
lélectricité produite par le projet NT-2 à son voisin de lEst, le Vietnam.
Une hypothèse qui semble aujourdhui écartée en raison du niveau de développement
industriel encore faible de cet allié idéologique du Laos.
Dautre part, lors de la visite à Vientiane de M. Hun Sen, Premier Ministre
cambodgien, du 21 à 23 octobre dernier, le Laos et le Cambodge ont signé un MOU
stipulant que le Cambodge achèterait de 1000 MW délectricité au Laos à partir de
cette année . Quant à lapplication de cet accord, il est encore incertain car le
niveau industriel du Cambodge est également dérisoire . Reste donc la Thailande comme
seul acheteur potentiel de lélectricité laotienne, ce qui a placé Bangkok en
position tout à fait confortable dans les négociations .
En tout cas, même si la conjoncture économique sest radicalement modifiée,
la Thailande, consciente des conséquences négatives qui seraient portées aux relations
entre les deux pays, n a pas pour autant remis en cause laccord bilatéral
avec son voisin de la rive gauche du Mékong . "La Thailande veut-elle prendre le
risque de tuer la poule aux oeufs dor laotienne?", demande un observateur . Et
de conclure: " Donc il est encore possible quà lavenir Bangkok se montre
un peu moins inflexible au niveau du tarif"
Lobbies des organisations écologiques
Le site du projet du barrage hydro-électrique NT-2 se trouve dans la région du
plateau de Nakai, district de Khamkeut, province de Borikhamxay , à environ 250 km au
Sud-Est de la capitale, Vientiane, et à près de 20 km de la frontière vietnamienne .
Il a été découvert dans les années 70 par des experts de la Banque Mondiale
qui, en 1991, ont vivement encouragé le gouvernement de Vientiane à envisager la
construction dun barrage sur la rivière Theun, jugée très appropriée pour le
développement de lhydro-électricité .
Selon le modèle conçu, le barrage NT-2 a une hauteur de 45 m, une longueur de 325 m et
une capacité de production de 900 MW. Il est donc 6 fois plus puissant que le barrage de
Nam Ngum (150 MW). Son coût de construction est évalué à 1,5 milliard de dollars, soit
presque léquivalent du PIB du pays de 1996, estimé à 1,7 milliad de dollars (
près de 2 milliards en 1998) . Donc pour les organisations écologiques hostiles au
projet, le NT-2 est trop coûteux et excessivement géant par rapport à la taille du pays
vue à travers son PIB .
Au départ, la livraison délectricité à la Thailande avec le projet NT-2 était
prévue pour lan 2000, mais la mise en route du chantier a été retardée par les
lobbies des écologistes internationaux qui ont fait pression auprès de la Banque
Mondiale dont la guarantie politique est décisive pour la construction du barrage .
Arguments développés par les verts
Selon la thèse développée par les écologistes, le projet NT-2 aura des impacts
négatifs trop importants pour le Laos dans les domaines écologique, social et
économique.
Impacts écologiques: Une grande partie de lune
des plus précieuses forêts de lAsie du Sud-Est, le plateau de Nakai, sera
détruite par une inondation provoquée par la construction du barrage, ainsi que
lantilope, espèce rare dans le monde appelée "Saola" par la population
locale . La découverte en 1994 de cette espèce en voie de disparition a attiré
lattention des scientifiques de tous les coins de monde .
Impacts sociaux: La superficie de 450 km2
située devant le barrage qui servira de réservoir sera inondée . Mille familles
denviron 5000 personnes vivant dans cette zone seront inévitablement déplacées.
Ces déplacements provoqueront un changement radical de leur mode de vie, par là même
leur décès prématuré.
Quant à la population vivant en aval du réservoir, cest-à-dire derrière le
barrage, elle sera privée de quantité suffisante deau pendant la saison sèche en
raison du stockage de leau dans le réservoir afin dobtenir un débit
approprié pour faire tourner les turbines et produire lélectricité. Par ailleurs,
la température modifiée de leau derrière le barrage constituera un facteur
négatif qui fera fuir la population poissonneuse .
Impacts économiques: Selon une étude des
écologistes effectuée parallèlement à celle du gouvernement lao, le Laos devra
sendetter lourdement en raison du coût trop élevé du projet NT-2 et du fait que
la Thailande soit le seul client potentiel qui pourra faire pression à tout moment sur le
tarif de lélectricité laotienne, ce qui est actuellement le cas .
Toujours daprès la même étude, le Laos a consacré 75% de ses projets de
développement à lindustrie hydro-électrique alors qu'il pourrait les étendre à
d'autres domaines, telle que l'agriculture, car en cas de crise dans le secteur
hydro-électrique le pays du million déléphants ne pourra pas compenser la perte
de ses revenus par dautres activités.
Cest à cause des lobbies écologiques mentionnés ci-dessus que la Banque Mondiale
avait decidé dexiger du gouvernement lao une deuxième étude du projet pour
réduire ces impacts avant daccorder sa guarantie politique, entraînant ainsi un
retard dans la mise en chantier du projet.
Pourqoi la guarantie politique ?
Si la Malaisie ou Singapour avaient un projet aussi ambitieux que le NT-2 qui
nécessite des investissements énormes, ils nauraient probablement pas besoin de la
garantie politique de la Banque Mondiale . Mais le Laos, toujours gouverné par un régime
marxiste à parti unique et malgré son ouverture économique, doit encore améliorer sa
législation et son système judiciaire.
Cest la raison pour laquelle la garantie politique de la Banque Mondiale est
nécessaire pour les institutions qui participent financièrement au projet : Société
Générale (France), Barclays (Grande-Bretagne), Deutschbank (Allemagne) et quelques
banques thailandaises .
De par sa garantie politique, la Banque Mondiale couvre le remboursement des prêts en cas
de force majeure : guerre, catastrophe naturelle ou nationalisation éventuelle du projet
par le gouvernement lao avant la fin de la période de concession .
Arguments du gouvernement lao
En 1997, le gouvernement lao, par le biais du STENO(5) , a organisé à Vientiane
troisconférences consultatives élargies pour présenter le résultat dune
deuxième étude du projet NT-2 exigée par la Banque Mondiale . Afin de montrer une
certaine transparence et médiatiser au maximum ses arguments, le gouvernement lao a
invité toutes les parties concernées à y participer, y compris la Banque Mondiale,
Egat, les organisations écologiques hostiles au projet et les journalistes du monde
entier . Lors de ces trois conférences, le gouvernement lao a avancé les arguments
suivants pour justifier le projet quil considère comme priorité numéro un de
développement :
Impacts écologiques: La construction du barrage Nam
Ngum dans les années 70 a servi de leçon au gouvernement lao, car les arbres se trouvant
dans la zone prévue pour le réservoir navaient pas été abattus avant la
construction du barrage
Vingt sept ans après, le gouvernement lao doit consacrer des
budgets importants pour débarrasser ces arbres inondés qui pourrissent au fil des ans ,
polluant ainsi le lac artificiel situé devant le barrage. Cest pour cette raison
que les arbres qui se trouvent dans le lieu prévu pour accueillir le réservoir du
barrage NT-2 ont été abattus avant le démarrage du plus gros projet hydro-électrique
quait jamais connu le Laos.
Par ailleurs, la déforestation et la disparition de certaines espèces sauvages
sont des problèmes qui existent depuis bien des siècles, notamment à cause de la
culture sur brûlis et de la chasse incontrôlées pratiquées par la population
montagnarde. Le projet NT-2 nest donc pas à lorigine de ces problèmes. En
comptant sur son budget déjà maigre, le gouvernement lao nest pas en mesure de les
résoudre. Selon Vientiane, seul le développement économique pourra apporter des
solutions efficaces à ces problèmes. Ce développement passe forcément par la
construction du barrage hydro-électrique NT-2.
Dans la 2ème étude , le NTEC a proposé un budget annuel de 1 million de dollars
pour la mise en place du service de lenvironnement dont le travail consiste à
planter des arbres, entretenir la forêt et contrôler la chasse dans les lieux
environnant le réservoir. Donc le barrage NT-2 sera un facteur favorable à
lenvironnement, mais pas le contraire soutenu par les organisations écologiques.
Impacts sociaux: Afin de satisfaire les conditions
exigées par la Banque Mondiale, le NTEC a également proposé un budget de près de 30
millions de dollars pour construire de nouveaux villages pour la population dont la
délocalisation est nécessaire pour la construction du barrage. Ce budget sera également
utilisé pour un programme de formation en vue dassurer de nouveaux métiers pour
les villageois déplacés, parmi eux beaucoup seront employés par le service de
lenvironnement qui sera créé .
Impacts économiques: Pour le gouvernement lao, le
projet NT-2 , le plus grand dune vingtaine de projets de barrages hydro-électriques
dans tout le pays, constitue un facteur crucial pour le développement et la lutte contre
la pauvreté, car il apportera au Laos des revenus annuels estimés à 250 millions de
dollars, soit des rentrées dargent considérables pour un pays peuplé de 5
millions dhabitants et qui est lun des plus pauvres de la planète .
"Cela fait 27 ans déjà que le Laos a vendu son électricité à la Thailande, et
nous navons jamais eu de gros problème jusquici", note M. Noulinh
Sinbandith, vice-président du STENO. "Le prix fixé par les deux parties depuis le
début a toujours été jugé satisfaisant de part et dautre " a-t-il ajouté .
Mauvaise coïncidence
La deuxième étude du projet et les conférences consultatives élargies ont eu lieu en
juillet 1997. Il semblerait que la Banque Mondiale en ait été satisfaite et aurait
promis daccorder sa guarantie politique au projet à condition que le Laos obtienne
un tarif juste et rentable de son électricité dans les renégociations avec la Thailande
.
Mauvaise coïncidence: la deuxième étude du projet sest achevée lors du début de
la crise économique et financière asiatique, et les renégociations sur le tarif avec la
Thailande sétaient engagées à un moment où Egat se trouvait en situation de
"vache maigre".
Depuis que le résultat de la deuxième étude du projet NT-2 a été soumise à
lapprobation de la Banque Mondiale en juillet 1997, la réponse de cette institution
basée à Washington se fait toujours attendre en raison du non-aboutissement des
négociations entre le Laos et la Thailande. Que cest dur les négociations!!
(D.T. Le 1 Février 2000)
(1) Egat = Electricity Generating Authority of Thailand
(2) MOU = Memorandum Of Understanding
(3) NTEC = Nam Theun Electricity Consortium
(4) TERRA = Towards Ecological Recovery and Regional Alliance
(5) STENO = Science, Technology and Environment Organization
"Nam Theun Electricity Consortium"
Le projet du barrage hydro-électrique NT-2 est piloté par un consortium multinational
nommé "Nam Theun Electricity Consortium" . Son directeur, Jean-Christophe
Delvallet représente également EDF . Le NTEC est composé de six compagnies dont une est
laotienne:
1. Electricité de France
(EDF)...................................................30% des parts .
2. Electricité du Laos (EDL).......................................................25%
" "
3. Italian-Thai Development Plc. (Thailande).......................15% " "
4. Jasmine International Plc. (Thailande).............................10% " "
5. Merrill Lynch Phatra Securities Plc. (Thailande)...........10% " "
6. Transfield Co. Ltd. (Australie)..............................................10% "
"
Par ailleurs, Egat est entré en négociations depuis octobre dernier avec Jasmine
International Plc. et Merrill Lynch Phatra Securuties Plc. pour acquérir les actions de
ces deux dernières qui ont manifesté leur désir de consacrer leurs efforts aux affaires
domestiques en raison de la crise qui a frappé la Thailande en juillet 1997 .
Les ONG les plus déterminées à mener campagne contre le projet NT-2 sont les suivants:
International Rivers Network (IRN) basée en Californie, Greenpeace, World Wild Fund for
Nature (WWF), TERRA basée à Bangkok entre autres.
Le gouvernement lao a accordé une concession de 25 ans au NTEC qui gère le
projet sous forme de "BOOT" (Build-Own-Operate-Transfer). Au terme de cette
période de concession, le gouvernement lao détiendra 100% des parts.
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