Laos: Bilan 99

L'économie en chute libre

Alors que celle des autres pays d'Asie du Sud-Est est en voie de redressement

Par: David Thanadabouth

(Journaliste à Radio France Internationale, section Laos)

Après avoir connu une croissance annuelle de l'ordre de 7 à 8% pendant une décennie, le Laos a sombré dans le marasme économique depuis Juillet 97, l'année où avait éclaté la crise économique et financière asiatique dont la Thailande, à laquelle l'économie du Laos dépend fortement, était le point de départ…

Le gouvernement de Vientiane avait alors saisi le prétexte de cette crise, qui s’était propagée à d'autres pays du continent asiatique, pour justifier la détérioration de l'économie laotienne.

Plus de deux ans après, tous les pays touchés de plein fouet par cette dépression , notamment la Thailande, le plus gros investisseur étranger et premier partenaire commercial du Laos, voient leur économie commencer à se redresser, alors que celle de l’ex-pays du million d'éléphants poursuit sa chute vertigineuse. Une inflation galopante à trois chiffres, des revenus de l'Etat quasi inexistants, un déficit commercial chronique laissent ce pays, l'un des plus pauvres de la planète, sans remède à l'horizon.

Pour certains analystes, l'origine du mal n’est pas la crise économique asiatique, mais l'incompétence des dirigeants du Laos.

L'incompétence des autorités

L'absence d’une véritable politique économique et de décisions claires de la part du gouvernement et du parti constitue un obstacle majeur aux solutions efficaces du problème économique du pays proposées d'une part par le FMI et la Banque Mondiale et d'autre part par des jeunes technocrates locaux formés en Occident…

Un exemple parmi d'autres: mi-septembre , le Kip, la monnaie nationale, a fait un brusque mouvement de yoyo, s'appréciant mystérieusement de plus de 40% contre le billet vert en moins d'une semaine, remontant de 9500 Kip/1 dollar à 5500 kip avant de retomber deux semaines plus tard au même niveau qu' auparavant, étranglant ainsi le commerce du pays…

Face à cette fluctuation anarchique du Kip, les autorités financières laotiennes, en l'occurrence celles du Ministère des Finances et de la Banque Nationale , étaient incapables de donner des explications rationnelles pour rassurer le marché. Comment auraient-elles pu le faire, elles qui ne comprennent rien au mécanisme du système de l'économie du marché… Elles ont donc préféré ne rien faire et se retrancher dans un mutisme total, évitant ainsi de parler aux journalistes qui auraient pu transmettre des messages de nature à calmer les milieux d’affaires et les spéculateurs au marché du matin ( Talat Sao Vientiane)…

  Erreur monumentale

Certes, le mouvement fou de la monnaie nationale de la mi-septembre a été dû, d'une part, au manque de liquidités provoqué par la mise en vente depuis le début de l'année des bons de trésor à court terme (3 mois) au taux d'intérêt annuel très élevé de 60% qui incita les petits commerçants à acheter massivement en espérant faire de beaux bénéfices.

C’était un succès total pour le Ministère des Finances qui a lancé cette initiative vivement conseillée par le FMI…Encouragées , les autorités financières laotiennes ont dû relancer à plusieurs reprises les mêmes opérations …C'est ainsi que la Banque Nationale du Laos a pu récupérer une grande quantité de liquidités et en même temps réussit à freiner quelque peu l'inflation…

D'autre part, la période de "Septembre - Décembre" coïncide avec celle où les commerçants doivent acquitter "en Kip" leurs taxes professionnelles, ce qui a provoqué une "demande très forte" de la monnaie nationale…

Hélas, ne comprenant pas le mécanisme du marché, les autorités financières du pays, en voulant tirer profit au maximum d’une telle situation, ont décidé de relever de manière tout à fait artificielle le taux de change officiel de 9500 Kip pour 1 dollar à 5500 Kip et de 250 Kip pour 1 Baht thailandais à 150 Kip . Une décision basée sur aucun critère économique solide, à savoir la production intérieure et les exportations…

Résultat: les commerçants ont été complètement étranglés et incapables de vendre leurs marchandises en échange de la monnaie locale. Ils ont purement et simplement décidé de ne pas suivre le taux officiel annoncé par la Banque Nationale du Laos…" Comment voulez vous que je vende à 45,000.00 Kip une jupe que j'ai achetée 300 Baht (70,000.00 Kip) au moment où le taux de change était de 250 Kip pour 1 Baht", a rouspèté une commerçante au marché du matin contactée par téléphone…

Les petits commerçants du marché du matin n'ont pas été les seules victimes des mesures gouvernementales, les entreprises étrangères ayant investi au Laos ont également souffert.

" Je suis obligé de débourser plus de dollars pour avoir le même montant en Kip pour payer mes employés", a déclaré le Directeur d'une société occidentale implantée à Vientiane .

C'est donc une erreur monumentale de la part des autorités laotiennes en décidant , quelque soit la raison, de majorer ainsi la valeur de la monnaie nationale…En fait, cette décision

incompréhensible ne correspond ni à la théorie du capitalisme ni à celle du socialisme de marché. C'était bien une décision à la Laotienne qui a surpris beaucoup de monde.

 Le marché a besoin de la stabilité du Kip

Plusieurs économistes basés à Vientiane se sont d’ailleurs montrés très perplexes…Dr. Hans U. Luther, économiste enseignant à l'Institut National d'Administration et Management (ancien IRDA) à Vientiane, avait bien prévenu que la mesure prise par les autorités financières laotiennes ne serait en aucun cas efficace, ni durable…Elle encouragerait plutôt les commerçants du pays à préférer le dollar et le Baht au Kip…Autrement dit, la pression sur la monnaie nationale persisterait.

Deux semaines plus tard, l'avertissement de l'économiste allemand s'est avéré : le Kip a rechuté en passant de 5500 Kip pour un dollar à 6500 puis à 8500 pour finalement se stabiliser à 7600 Kip actuellement. Par rapport au Baht thailandais, la monnaie nationale laotienne est repassée de 150 Kip pour un Baht à 200 puis à 230 . Actuellement un Baht vaut approximativement entre 180 et 200 Kip. Les milieux d’affaires du pays n’apprécient guère ce mouvement de yoyo. Ce dont ils ont besoin, c’est de la stabilité du Kip, quelque soit le niveau de sa valeur…

Même son de cloche de la part du Dr. Mana Southichack, Directeur du Bureau Consultant

" Mekonomist " à Vientiane…" Ce mouvement brusque du Kip n'aurait pas dû se produire. Le Kip était déjà stable à 9500 Kip/1 dollar au mois de Juillet. Je ne comprends absolument pas pourquoi ce mouvement là "...

" La montée du Kip, oui, mais graduellement…La banque Nationale du Laos, profitant la situation de forte demande, aurait dû relever le taux de change de l'ordre de 1% ,voire de 2% par mois ou par trimestre, afin de permettre aux commerçants de s'adapter progressivement ", a poursuivi l’économiste laotien formé à l’université de Hawaï…Et de conclure : " Jamais au grand jamais 40% d'un seul coup comme ça…C'est un très mauvais signal en direction des investisseurs étrangers qui perdraient complètement confiance, ce qui ferait reculer davantage les investissements étrangers déjà en chute libre "….

Bilan désastreux

Depuis l’éclatement de la crise économique et financière asiatique,en Juillet 97, les réserves étrangères de la Banque Nationale du Laos n’ont cessé de baisser, passant sous le seuil de 100 millions de dollars actuellement contre 117 millions en 1998 et 170 millions en 1997. Pour l’heure, ces réserves équivalent à peine à un peu plus de deux mois d’importations.

Tout cela a été dû, d'une part, à la chute libre des exportations, notamment en direction de la Thailande dont la demande a été en forte baisse en raison de la crise, et d'autre part , à la hausse des importations. Ce qui explique évidemment le déficit de la balance de paiement de 226 millions de dollars pour l'année fiscale de 1998-1999…

Au plan des liaisons aériennes avec les pays voisins, le Laos s’isole davantage malgré l'année du tourisme national 1999-2000…Certaines compagnies comme Silkair (Singapore), Malaysian Airlines et Royal Air Cambodge ayant renoncé à desservir Vientiane. Seuls la Thai Airways, le Vietnam Airlines et le Yunnan Airlines continuent à assurer des vols réguliers à destination de l’ex-Royaume du Laos. Cela reflète bien l'état de l'économie du pays de l'oncle Khamtai Siphandone…

En ce qui concerne les investissements étrangers, ils sont tombés de 1,2 milliards de dollars en 1995 à 150 millions en 1997, 110 millions en 1998 et 93 millions pour les neuf premiers mois de 1999.

Quant à l’inflation, elle était de l’ordre de 143% en 1998, selon les chiffres officiels, mais de plus de 150% selon des sources indépendantes. Depuis la crise asiatique, elle n’a cessé de grimper pour se situer actuellement aux environ de 800% par rapport au début de 1997. Ce qui place le billet vert à 7600 ou 8000 Kip.

" La crise afffecte particulièrement la population urbaine, alors qu’à la campagne les gens continuent à vivre comme si de rien n’était ", a expliqué un officiel du ministère des Finances qui souhaite garder l’anonymat...

C’est sans doute pour cette raison que les hauts dirigeants du pays, ceux issus de la vieille garde révolutionnaire, ne semblent pas très pressés pour des réformes . Ils considèrent toujours, comme par le passé, la campagne comme la base du pouvoir...

L’agacement de la Banque Mondiale et du FMI

Constatant la lenteur des réformes engagées par le gouvernement lao, la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International voulaient que Vientiane suive les conditions préalablement posées à tout autres prêts pour le développement: réforme fiscale, privatisation voire même fermeture des entreprises d’Etat déficitaires si cela ne créerait pas trop de problèmes sociaux , réforme du système bancaire, l'autonomie de la Banque Nationale du Laos, le flottement du Kip, réduction des dépenses de l’Etat, augmentation des taxes d’importation des produits de luxe : automobiles, téléviseurs, cigarettes, alcool etc...

Evidemment, toutes ces mesures devaient être accompagnées par une politique de lutte énergique contre la corruption et la bureaucratie…Tant que ces deux derniers maux n’auront pas été combattus, aucune mesure n’a de chance d’aboutir.

Jusqu’ici, le gouvernement de Vientiane s'est montré réticent sur bien des points sus-cités, notamment celui du flottement du Kip. C'est-à-dire supprimer le taux de change officiel et laisser le marché déterminer lui même la valeur de la monnaie nationale afin de freiner la spéculation et le marché noir.

Face à cette réticence, les deux institutions financières mondiales basées à Washington ont envoyé un message clair en direction de Vientiane: "Fini les prêts pour le Laos. Tant que le gouvernement de Vientiane n'aura pas engagé des reformes économiques satisfaisantes, il n'y aura pas un sou pour ce pays "…

La Banque Mondiale a d’ailleurs purement et simplement suspendu, au mois de Décembre 1998, la deuxième tranche de 20 millions de dollars de crédits destinés à des projets d'infrastructure considérés comme facteur principal pour attirer les investissements étrangers…

Mêmes conditions japonaises

Se voyant refuser les crédits supplémentaires par la Banque Mondiale et le FMI, le gouvernement de Vientiane s'est tourné vers le Japon, le plus gros pays donateur du Laos…

Au mois d'Août dernier, M. Motoyoshi Suzuki, expert en économie laotienne, s'est rendu à Vientiane pour proposer aux autorités locales un plan de réformes qu'il avait mis au point afin de permettre au Laos de recevoir des crédits "yen loans"…

Selon le plan de l'économiste japonais, le Laos ne pourra accéder à ce genre de prêts que si Vientiane accepte les recommandations ou les conditions posées par un comité conjoint lao-japonais qui sera mis en place au mois d'Avril 2000…Ce comité sera dirigé, du côté laotien , par M. Sisavath Kéobounphanh, premier ministre, et présidé par M. Bouathong Vonglorkham, président du comité d'Etat au plan…Le gouvernement japonais, quant à lui, sera représenté au sein de ce comité par le JICA (Japan International Cooperation Agency). Cet organisme enverra ses experts au Laos pour s'assurer de la bonne utilisation des prêts, en collaboration étroite avec des responsables laotiens, bien entendu.

Trois mois après la venue de M. Suzuki à Vientiane, un accord de coopération en la matière a été signé le 4 Octobre dernier à Tokyo lors de la visite de M. Somsavath Lengsavad, vice-premier ministre et ministre des Affaires Etrangère.

Mais le gouvernement et le peuple laotiens doivent patienter encore au moins deux ans, le temps nécessaire pour la mise au point complète du plan de M. Suzuki et l'acceptation de ce plan par le gouvernement de Vientiane…Bref, pas de crédit avant 2002…

Avant de se rendre au Laos en Août dernier, M. Suzuki qui est également professeur d'économie à l'université de Mie avait déclaré à la BBC que le Laos avait besoin d'urgence de ce plan de réformes macro-économiques, mais qu’il y avait des difficultés de communication entre les économistes et les dirigeants conservateurs à la tête des ministères…

"Le gouvernement lao composé de bureaucrates pour la plupart n'écoute pas les conseils des jeunes générations qui sont pourtant de très..très bons conseils", a observé l'économiste japonais qui a conclu : "J'espère que le gouvernement lao écoutera nos recommandations"…

(D.T. Paris le 15 Décembre 1999)

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